Christian de Ryck

Le valet de trèfle de Rouen à Cincinnati

Jeux


L'origine du portrait anglais, anglo-américain ou international est française. Il s'agit du portrait de Rouen exporté en Angleterre à partir du 15e siècle. Grâce à ses débouchés maritimes, Rouen inonde la façade atlantique, de la Scandinavie au Portugal, devenant en outre le fournisseur exclusif des îles britanniques.

Pendant plus d'un siècle, la Grande Bretagne importe des jeux de Rouen ou d'Anvers. A la fin du 16e siècle, les permiers cartiers apparaissent à Londres et cessent de mettre leur nom sur le valet de trèfle. Les figures deviennent plus stylisées. En 1628, les cartiers anglais se réunirent en corporation : la Worshipful Company of Makers of Playing Cards

Ce portrait devenu anglais atteint les États-Unis au 17e siècle et les premiers jeux y furent imprimés vers 1770. Les cartes américaines sont plus larges que les cartes anglaises. Aujourd'hui, ce portrait est utilisé dans le monde entier.

L'as de pique est souvent illustré. La raison est que jusqu'en 1960 cette carte portait en Angleterre les cachets fiscaux et les mentions légales. Cette usage s'est reportée naturellement aux États-Unis et à quelques autres pays.

Le valet de trèfle est anonyme mais pourrait être Lancelot du Lac comme le valet de trèfle du portrait de Paris. Dans un des récits (Mort Artu dans le Lancelot-Graal), Lancelot endormi près d'une fontaine est blessé par une flèche tirée par un chasseur visant un cerf. Ce valet serait alors le patron des sportifs (archers) comme le valet de pique (Hogier) est celui de la chasse. Cette flèche fortement aggrandie sera ensuite tellement stylisée qu'elle est maintenant difficile à reconnaître.



Portrait en pied

Nous présentons ici plusieurs versions en pied par ordre chronologique. Les images proviennent de plusieurs collections dont celle de Plainbacks. Le jeu de Valéry Faucil provient d'un fragment de planche conservé au British Museum. Le jeu de Pierre Maréchal est conservé aux Archives départementales de Seine-Maritime à Rouen. Le jeu attribué à Nicolas Beniere est conservé au musée Fitzwilliam à Cambridge.

On notera que la tête s'aggrandit et que la flèche se rapproche du bord de la carte. Vers 1800, la flèche perd son empennage. La confusion avec une lance est alors possible. Quelques décennies plus tard, elle peut même devenir une hache.

Le triple zéro sur le jeu de Van Genechten (Turnout) signifie que cette carte provient d'un catalogue d'échantillons.


Portrait à deux têtes

Le portrait à deux têtes qui simplifie la vie des joueurs est une invention relativement récente. Il est apparu au milieu du 19e siècle, vers 1860. On notera que ce découpage a entrainé un retournement du valet qui maintenant regarde à notre droite. Les indices apparaissent vers 1880. Il existe bien sûr de nombreuses variantes, souvent pour des jeux publicitaires. Il arrive que la flèche ou la lance soit remplacée par une épée ou un trident. Voici quelques exemples.

Notes : Kn dans le jeu de Thomas de la Rue signifie "Knave", équivalent à "Jack" dans les jeux modernes.



Le portrait de Rouen est donc devenu le portrait anglais. Avec l'influence culturelle des États-Unis, il devient le portrait international. Il est couramment utilisé pour faire des tours de magie, pour jouer (poker, blackjack, bridge, etc) et comme thème d'illustration.

Tous les cartiers produisent des jeux avec ce portrait, l'un des plus connus étant U. S. Playing Card Co. à Cincinnati. Certains tentent encore de faire évoluer ce portrait comme Offasen en Suède avec le jeu "Anglo" de Ake Arenhill.



Bibliographie

Sites Internet